L’interview du mois, Catherine-Emmanuelle Delisle – Femme sans enfant
Dans de nombreux cas d’infertilité, l’assistance médicale à la procréation n’apporte pas de solution. Les personnes souhaitant d’avoir des enfants n’arrivent finalement pas à concrétiser ce projet de parentalité, de maternité. Soit qu’ils stoppent les démarches médicale, qu’ils ne souhaitent ou ne peuvent pas s’engager dans des démarches d’adoption, soit qu’ils considèrent avoir « gâché » trop de temps mauvais dans ce projet qui n’aboutit pas, soit que la médecine, le contexte économique, social et politique ne puisse rien proposer d’adapté à leur situation. Comment faire pour « profiter encore de la vie », avec cette plaie invisible mais béante, constituée par l’absence de l’enfant ?
Nous avons questionné Catherine-Emmanuelle Delisle, femme canadienne qui a fait le choix de renoncer à avoir des enfants. Diagnostiquée stérile depuis l’âge de 14 ans, le désir de maternité impossible l’ayant rendue malheureuse. Elle a donc décidé à un moment de sa vie de renoncer à ce projet, pour tenter de mieux vivre sa vie de femme.
BAMP : Catherine-Emmanuelle Delisle vous êtes Canadienne. Vous avez crée en 2012 un blog intitulé « Etre femme sans enfant ». Blog dont le lien a circulé sur les blogs de femmes infertiles Françaises. Pouvez-vous préciser pour ceux et celles qui ne vous connaissent pas, ce qui a motivé l’ouverture de ce blog.
C-E D : En avril 2012, j’ai entrepris une démarche de deuil pour accepter mon infertilité. Je me suis donc inscrite en ligne au Mentorship program ( appelé ainsi à l’époque) ,sur le site piloté par Lisa Manterfield en Californie, Life Without Baby. Lorsque les rencontres virtuelles ont pris fin, 6 moi plus tard, en novembre 2012, j’ai ressentis le besoin d’écrire sur le sujet. Comme il y avait très peu de ressources en français sur le sujet, j’ai décidé de créer un blogue en français pour rallier, informer et échanger. Je diffuse aussi de manière quotidienne des informations sur ma page Facebook Femme sans enfant, sur Twitter, et Pinterest. J’ai également créé une communauté privée sur Google + Femme sans enfant. J’organise également des cafés-rencontre 1 fois par mois dans la région de Montréal pour échanger directement avec mes lectrices. Le blogue se nommait initialement Etre femme sans enfant sur blogger. J’ai par la suite changé de plate-forme ( word press) et modifié le nom pour Femme sans enfant.
BAMP : Dans votre témoignage que l’on peut voir sur votre nouveau blog « Femme sans enfant », vous indiquez que vous avez appris que vous étiez infertile à l’âge de 14 ans. Comment une jeune fille peut-elle « gérer » cette annonce, si jeune ?
C-E D : Très difficilement. Mes parents ont fait de leur mieux. Ils ont préféré ne pas aborder le sujet pour ne pas me blesser davantage. Les médecins m’ont annoncé le diagnostic sans mettre sur pied des ressources psychologiques pour me soutenir ce qui fait que je me suis réfugiée dans un silence sur ma condition. J’ai refoulé très longtemps les sentiments d’inaptitude face à moi -même et aux autres. L’impression de ne pas être une vraie femme. L’absence de confiance en moi. Le début d’une quête existentielle.
Ma puberté n’est arrivée qu’artificiellement à 16 ans grâce à la prise d’anovulants ce qui est inusité et perturbant. Tout mon secondaire, je me suis sentie décalée par rapport aux filles de mon âge. Je n’ai donc pas vécu de crise d’adolescence amenée par des changements hormonaux. Je n’ai pas eu de copain avant la vingtaine.
Le fait aussi de ne jamais rencontrer quelqu’un vivant la même chose que moi fut aussi souffrant.
Heureusement, j’excellais en art dramatique étant étudiante ce qui m’a aidée à développer ma confiance en moi et me permettait de jouer à être quelqu’un d’autre. La troupe de théâtre jouait un peu le rôle de club social pour moi. Sur scène, pas de doutes sur mes capacités et talents.
BAMP : Avec le recul de l’âge, est-ce que vous pouvez décrire l’impact qu’a eu cette annonce d’infertilité très précoce, sur le déroulement de votre vie (professionnelle, amoureuse, sociale) ?
C-E D : Voir ? précédente 😉
BAMP : Cela fait maintenant combien de temps que vous avez renoncé à avoir des enfants ?
C-E D : Cette question est complexe. Je crois que j’y ai renoncé vers l’âge de 18 ans. Je voulais avoir des enfants naturellement . Il n’y avait pas d’autres options pour moi. Mais le deuil en profondeur est tout récent.
BAMP : Avez-vous eu besoin d’entreprendre une thérapie pour renoncer à la maternité ? Sous quelle forme et pendant combien de temps ?
C-E D : J’ai consulté quelques psychologues non- spécialisés en infertilité. Puis un autre spécialisé en infertilité. Je dois avouer que ces démarches ne m’ont pas été très bénéfiques. Je crois que le temps, la réflexion, le Mentorship Program, le choix de commencer à en parler autour de moi m’ont aidée le plus. Enfin, le blogue donne un sens à tout cela. J’ai l’impression que tout cela ne m’arrive peut-être pas pour rien et que ma mission de vie réside dans l’accompagnement des femmes qui ont un destin différent, par choix ou non.
BAMP : Pensez-vous que ce renoncement soit ferme et définitif ? Si un amoureux vous proposait d’accéder à la parentalité avec lui, est-ce que cela pourrait remettre en cause votre décision ?
C-E D : Évidemment! Si jamais je fais la rencontre d’un homme ayant déjà des enfants, je me ferai un plaisir et un grand bonheur de m’occuper du mieux que je le peux de ses enfants.
BAMP : Vous avez fait le choix de ne pas avoir recours au don d’ovocyte, pour pallier à votre infertilité. Vous avez donc pris une décision, pensez-vous que cette prise de décision rend votre deuil plus « simple » à accomplir ?
C-E D : Non, je ne crois pas. Le deuil de ne pas pouvoir enfanter est très douloureux, particulièrement lorsqu’on désirait vraiment des enfants, comme moi.
BAMP : Etes-vous encore dans un processus de deuil et de renoncement ? Ou est-ce que cette étape est définitivement passée ?
C-E D : Oui. Pour l’instant, j’ai l’impression que ce deuil sera toujours présent mais en changement et en évolution. Peut-être que je fais erreur, mais j’ai l’impression pour le moment que la vie se chargera de me rappeler que je ne peut avoir d’enfants. C’est ma façon de voir cette situation qui changera avec les années et les expériences de la vie.
BAMP : Quels conseils pourriez-vous donner à des femmes qui doivent faire le deuil de la maternité ?
C-E D : En parler, le plus vite possible: trouver un psychologue spécialisé dans les problèmes de fertilité ou un groupe de soutien comme Femme sans enfant ( Qc), ACSI ( Association Canadienne de Sensibilisation à l’Infertilité), Gateway Woman ( Angleterre), Life Without Baby ( Californie). Ne pas rester silencieuse face à cette situation. Identifier les situations qui vous font souffrir et les éviter, le temps de retrouver vos forces. Ne pas perdre de vue ce que vous êtes profondément comme personne et faire des choses qui vous apportent valorisation et accomplissement dans votre vie de femme. Expliquer en des termes clairs à vos proches et amis quel type de soutien vous attendez d’eux. Ils ont besoin d’être guidés pour mieux vous comprendre.
BAMP : Souvent les gens considèrent qu’il faut être « courageux » pour persévérer dans les traitements d’AMP. Nous pensons qu’il faut encore plus de « courage » pour tout stopper, pour renoncer à l’aide médicale à la procréation, pour renoncer au projet de parentalité. Que pouvez-vous nous dire sur cette notion du courage, avoir le courage de renoncer. Est-ce que ce terme de courage vous semble le plus approprié ?
C-E D : Oui, je crois qu’il faut être courageux pour accepter le fait que les choses ne tournent pas comme nous le souhaitions.Cela peut s’appeler aussi du lâcher-prise. Il faut accepter que la vie a peut-être autre chose en réserve pour nous . C’est une occasion de donner un autre sens à sa vie. Très longtemps, il a été impossible pour moi d’envisager qu’il y avait des avantages à ne pas avoir d’enfant. Maintenant, je peux constater ces avantages et commencer à les apprécier avec gratitude et bonheur.
BAMP : Diriez-vous que le deuil de la maternité et de tout ce qui va avec (grossesse, éducation, transmissions, etc), est un chemin linéaire partant du moment où vous prenez la décision de ne pas poursuivre cette « chimère » jusqu’au jour où vous vous sentez enfin « libérée » de ce désir de maternité ? Ou est-ce un chemin plus chaotique fait d’avancées positives et de reculs difficiles ?
C-E D : Comme je l’ai dit précédemment, je crois que c’est un chemin chaotique. Le deuil sera modulé par nos rencontres, notre entourage, notre santé. le vieillissement , notre milieu de travail, nos relations amoureuses, etc.
BAMP : Comment vous définissez-vous actuellement ? Encore comme une femme infertile ? Comme une femme tout simplement ? Comme une femme très fertile mais sur d’autres aspects que la maternité ?
C-E D : Pour le moment, je me définis comme une femme infertile, activiste pour la cause des femmes sans enfant par choix ou par circonstances de la vie. Mon plus grand souhait est de faire connaître la vie de ces femmes différentes, de les rendre visibles dans les médias. Je désire aussi contribuer à briser les tabou autours de ces femmes. Enfin, je veux simplement qu’elles sachent qu’elles ne sont pas seules au monde!
De mon côté, je crois être très fertile de manière créative et cela me nourrit beaucoup en tant qu’être humain et femme. J’ai beaucoup d’intérêts dans la vie, c’est une grande chance: photographie, randonnée pédestre, fabrication de bijoux, cinéma de répertoire, design, mode et principalement l’être humain dans toute sa beauté et sa complexité!
BAMP : Est-ce que votre activité artistique (écriture de pièce de théâtre) et la création de votre blog vous ont-elles permis de dépasser vos souffrances, de valoriser votre personnalité, de trouver un nouveau sens à votre vie ?
C-E D : Absolument! La création ( spectacles d’art dramatique, écriture d’un livre, blogue, horticulture, photographie, création de bijoux) est au cœur de ce que je suis. J’ai toujours des idées nouvelles et j’ai vraiment besoin de créer et d’être à l’écoute et au service des autres pour être heureuse.
BAMP : Pensez-vous que la créativité au sens large puisse être un bon moyen pour dépasser les souffrances liées à la non maternité ?
C-E D : La création est selon moi un outil thérapeutique indéniable. Elle mobilise les talents de la personne, elle éloigne de la dépression et évite à la personne de ressasser les mêmes idées noires. Elle est aussi un agent de changement et un mouvement vers l’avant, vers la suite de sa vie.
BAMP : Avez-vous eu des retours via votre blog, de femmes Françaises, désirant avoir des enfants, mais ne pouvant concrétiser ce désir ?
C-E D : Oui! Plusieurs femmes françaises m’ont écrit.J’ai constaté aussi que certains mois, mon blogue est visité par une plus grand nombre de Françaises que de Québécoises. 😉
BAMP : Avez-vous l’impression que les sociétés Canadienne et Française traitent de la même façon les questions liées à l’infertilité, à la stérilité et à la non maternité ?
C-E D : J’ai l’impression que cette question est abordée davantage en Europe ( France, Angleterre) et au États-Unis, dans les médias. Ici, le sujet est encore vraiment tabou et abordé très timidement par les médias. On aborde plus souvent au Québec la thématique des femmes sans enfant par choix. On parle très peu d’un thème très important selon moi qui s’appelle « social infertility » en anglais. C’est l’infertilité ou l’absence d’enfant parce qu’on n’a pas rencontré la bonne personne, parce qu’on a pas les moyens d’avoir un enfant, parce qu’on doit prendre soin d’un proche, etc.
BAMP : Est-ce que vous suivez le blog du collectif BAMP ? Si oui ou si non, expliquez pourquoi.
C-E D : Pour être honnête, très peu pour l’instant. J’avais plus ou moins l’impression qu’il s’adressait au femmes en deuil comme moi ou ayant fait le choix définitif de ne pas avoir d’enfant.
Vous pouvez aussi
trouver ici, un ensemble de femmes connues (certaines seulement au Québec) sans enfant par choix où par circonstances de la vie. Vous avez
ici aussi une autre sélection anglophone
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Merci beaucoup pour ce témoignage…
Par ailleurs, j’aurais du mal à expliquer quoi pourquoi comment, mais cette « liste de femmes sans enfants » me retourne…
A reblogué ceci sur artemise aura tout essayé ou presque…et a ajouté:
Voilà un joli témoignage outre-Atlantique qui confirme bien que le chemin sans enfants est possible et fertile !